Discrimination : plaidoyer pour l’interdiction de « Mein Kampf »

Discrimination : « Mein Kampf » tombe dans le domaine public ce 1er janvier 2016, quelles solutions pour interdire cet ouvrage?

Question orale du 13 janvier 2016 au Ministre de la Justice: « L’entrée de « Mein Kampf » dans le domaine public »

Le premier janvier 2016, l’ouvrage fondateur du nazisme, « Mein Kampf », entrait dans le domaine public.

Vous trouverez ci-dessous le compte-rendu de mon intervention auprès du Ministre de la Justice Koen Geens à ce propos. Ma question était jointe à celle de Monsieur le Deputé Georges Dallemagne.

« Monsieur le ministre, le 1er janvier, le tristement célèbre ouvrage rédigé par Adolf Hitler, Mein Kampf, est entré dans le domaine public.

Il y a eu beaucoup de gesticulations, surtout ces dernières heures, relativement à ma position, que je tiens à vous préciser. Je souhaite l’interdiction de la version originale de ce livre, telle que publiée dans les années 20 et 30. À mon estime, cette publication tomberait sous le coup de la loi du 31 décembre 1981, tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie. Je pense en particulier à son article 21 que je me permets de vous rappeler: « Quiconque, dans l’une des circonstances indiquées à l’article 444 du Code pénal, diffuse des idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale est puni d’un emprisonnement d’un mois à un an et d’une amende de cinquante à mille euros ou de l’une de ces peines seulement ». Je dis bien « telle que publiée dans les années 20 et 30 ».

Cependant, autre chose serait une publication encadrée pédagogiquement, et pas seulement – c’est une nuance de taille – par des historiens, comme le font certains pays, mais par un comité d’experts bien plus large – expliquer l’Histoire en rapport avec ce livre représente un exercice difficile et périlleux et insuffisant. Ce comité serait composé de sociologues, de psychologues et de scientifiques pouvant expliquer pourquoi, à un moment, quelqu’un peut séduire une nation et en modeler la psychologie collective en sorte qu’un peuple va marquer l’Histoire de manière dramatique. Et pour cause, monsieur le ministre, puisque Mein Kampf constitue le fondement du nazisme, animé par l’obsession de la « pureté raciale » et la haine envers les Juifs et les « peuples inférieurs ».

On sait que ce livre est à l’origine du massacre dans les camps de concentration de plus de dix millions de personnes, parmi lesquelles six millions de Juifs exterminés, mais également des prisonniers politiques, les Tziganes, des Polonais, des Russes, des personnes handicapées. Bref, l’horreur totale des camps, des expérimentations médicales et des chambres à gaz! Mein Kampf, c’est la mise en place d’une extermination organisée, industrielle – pourrait-on dire – sans précédent, de millions d’êtres humains. Mein Kampf, c’est l’Europe mise à feu et à sang pendant six longues années. Ce livre est la quintessence de l’antisémitisme. Il prône une vision mortifère de la supériorité raciale. Il est porteur de haine, de guerre, de racisme.

En octobre 2015, le président de la Ligue belge contre l’antisémitisme enregistrait une recrudescence des signalements d’actes antisémites. Je ne reviendrai pas sur tous les incidents qui ont caractérisé l’année 2015 en matière de discrimination. Tout le monde les connaît.

Monsieur le ministre, ceux qui ignorent l’Histoire sont condamnés à la revivre. Septante ans après, avons-nous oublié les atrocités du nazisme, les 60 millions de morts de la Seconde Guerre mondiale résultant de la folie d’un régime, au point de ne pas prévoir ou anticiper l’entrée dans le domaine public de ce livre?

Bien entendu, chacun sait que ledit livre se télécharge sans difficulté. Mais, depuis le 1er janvier 2016, un élément change la donne. En effet, depuis cette date, n’importe qui, n’importe quelle association, n’importe quel éditeur peut publier ce livre, sans autorisation – en l’espèce du Land de Bavière – et adhérer aux principes prônés par Mein Kampf. Une décision politique doit être prise, monsieur le ministre. J’estime personnellement que l’interdiction de Mein Kampf tel que Hitler l’a écrit est de mise. Ce serait faire preuve d’irresponsabilité et d’une grave négligence politique en matière de discrimination que de permettre que ce livre puisse s’acheter, demain, comme on achète une bande dessinée, ce d’autant qu’il entre incontestablement dans le champ d’application de la loi, et plus précisément de l’article dont je vous ai donné lecture ».

Georges Dallemagne (cdH): Monsieur le ministre, l’arrivée de Mein Kampf dans le domaine public n’est évidemment pas une bonne nouvelle. Ce livre terrible est un bréviaire de la haine et de l’extermination, notamment des Juifs. Avons-nous, cependant, les moyens d’organiser la censure de cet ouvrage? Je suis un petit peu surpris de la publicité faite par le MR à cette sortie de Mein Kampf dans le domaine public car, en réalité, il a fait la publicité d’un ouvrage qui n’en méritait pas tant.

Il faut être extrêmement attentif et vigilant à l’égard de cette publication. Je lis sur les réseaux sociaux que cet ouvrage existe déjà dans le domaine public. Il semble qu’on puisse même l’acheter à la FNAC, qu’on puisse le télécharger sans difficulté, etc. Ce qui m’importe est la lutte contre l’antisémitisme et le racisme. Il faut vérifier que la propagation d’idées aussi terrifiantes que celles qu’a pu avoir Adolf Hitler n’obtienne pas un surcroît de publicité. Comment peut-on lutter contre ces idées-là?

S’il s’agit de censurer l’ouvrage, il faut le censurer complètement en évitant de pouvoir se le procurer sur internet ou dans telle ou telle librairie. Faut-il pouvoir uniquement autoriser des éditions encadrées scientifiquement ou historiquement? À qui seraient destinés de tels ouvrages? Est-ce qu’il ne faut pas renforcer les cours d’éducation citoyenne et la lutte contre l’antisémitisme, la discrimination et d’autres formes de racisme? Est-ce qu’il ne faudrait pas interroger les organisations concernées par cette question – les anciens combattants, les organisations représentatives de la communauté juive ou le Centre pour l’égalité des chances qui remet des avis en termes de racisme?

Je veux être prudent et éviter de donner l’illusion qu’on serait efficace en s’opposant à la dissémination d’un ouvrage qui, par ailleurs, se retrouve facilement dans le domaine public.

Réponse du Ministre Geens:

« Monsieur le président, messieurs Scourneau et Dallemagne, mon administration m’informe que la Belgique n’a jamais connu d’interdiction explicite de la vente de Mein Kampf et que sa possession n’est pas punissable non plus. Toutefois, si cet ouvrage méprisable était proposé à la vente ou autrement, des poursuites pourraient éventuellement être engagées sur la base de la loi anti discrimination du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination et de la loi anti-racisme du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie, qui interdisent toutes deux l’incitation à la haine.
L’article 22 de la loi anti discrimination est pertinent en premier lieu. Les critères protégés dans cette loi sont l’âge, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, la fortune, les convictions religieuses, philosophiques, politiques ou syndicales, la langue, l’état de santé actuel ou futur, un handicap, une caractéristique physique ou génétique ou l’origine sociale. L’article 20 de la loi anti-racisme peut également être appliqué. Les critères protégés par cette loi sont différents. Il s’agit de la nationalité, la prétendue race, la couleur de peau, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique.
Pour l’application de ces lois, il faut la présence d’un dol spécial. Il faut qu’il y ait incitation à la haine et à la violence contre une communauté ou une personne avec violation d’un des critères protégés. L’incitation doit être de nature telle que des tiers sont poussés à nourrir des sentiments de haine envers la personne, le groupe ou la communauté visés ou les membres de ceux-ci. Enfin, la diffusion d’idées fondées sur la supériorité de la race ou sur la haine raciale pourrait aussi donner lieu à une plainte spécifique sur la base de l’article 21 de la loi anti-racisme. La législation interdit l’incitation à la haine. Elle n’interdit donc pas certaines opinions mais des actes, des comportements ou des attitudes qui utilisent le langage comme un moyen pour provoquer la violence. Deux éléments, l’intention de l’auteur et le contexte des déclarations, déterminent la force d’une déclaration, la capacité de convaincre un public, de le garder sous son emprise ou de l’inciter réellement à commettre un acte déterminé. Il appartient ensuite au juge d’apprécier. Mon administration m’a fait savoir qu’elle ne disposait pas de précédents concernant ce livre ».

Après avoir remercié le Ministre pour sa réponse, j’ai répliqué comme suit:

« Tout d’abord, personne ne peut nier que ce livre, sur la base de son histoire, est une véritable incitation à la haine et à la discrimination. Je vous ai rappelé tout à l’heure les faits qui démontrent que nous sommes confrontés à la publication la plus criminelle de l’Histoire. Nous avons une particularité par rapport à une situation qui pourrait être toute différente. Nous connaissons le livre, son contenu et ses effets. Nous savons, dès à présent, que ce livre est en contradiction avec les deux lois en matière de non discrimination et de lutte contre le racisme que vous avez précitées. Aussi, ne pouvons-nous, au niveau parlementaire, avoir un débat qui permettrait de régler cette question? En clair, envisagez-vous, monsieur le ministre de tenir ce débat, et, dès à présent, de réglementer la possibilité que réserve, de la manière la plus cruelle qui soit, cet ouvrage? »

Georges Dallemagne (cdH): Monsieur le ministre, j’ai pris bonne note que nous disposions de l’arsenal législatif pour nous battre contre un tel ouvrage si des citoyens souhaitent le faire. Il est clair que si cet ouvrage se trouve sur internet, les mêmes dispositions légales sont valables. Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un support électronique qu’elles ne le seraient pas, monsieur le ministre! À partir du moment où un site internet publie des ouvrages qui incitent à la haine, on doit pouvoir également les interdire.
Nous sommes, hélas, face à des moyens de diffusion qui sont globaux, qui permettent à de tels ouvrages d’être diffusés dans n’importe quel pays du monde: 80 millions d’exemplaires de Mein Kampf ont déjà été vendus à cette date. J’entends que l’édition publiée en Allemagne est déjà épuisée, alors qu’elle n’a même pas été physiquement déposée dans les librairies.
Ce qui est important pour moi, c’est surtout l’efficacité de la lutte contre l’antisémitisme. Au-delà du combat éventuel, je veux être prudent et je souhaite vivement que le Centre pour l’égalité des chances se saisisse de cette question pour laquelle il est compétent. Il peut rendre des avis en matière de droits civiques. On interroge les autorités représentatives de la communauté juive; je trouverais aussi intéressant d’interroger les anciens combattants.
En l’état, je ne vois pas comment on peut physiquement organiser la censure de cet ouvrage mais suis par contre satisfait du fait que nous disposions de l’arsenal législatif adéquat pour pouvoir, le cas échéant, combattre de telles idées.

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